Matériel
Ce site internet présente une sélection (ma)thématique de photographies effectuées depuis 2006, au moyen, chronologiquement, d’un téléphone portable LG et iPhone [application Hipstamatic], d’appareils photo numériques compacts SONY et Lumix (optique Leica) puis reflex CANON EOS 50D et 5D Mark II [capteur grand format 24 x 36 mm].
Les objectifs utilisés ont les caractéristiques suivantes : Focale Zoom EF 8-15 mm (Fisheye) Ouverture f/4 Série L USM, EF 16-35 mm (grand angle) f/2.8 L II USM, Focale fixe EF 50 mm (grossissement de l’oeil) f/1.2 L USM et EF 100 mm (macro) f/2.8 L IS USM.
Les fichiers RAW (négatifs numériques) sont développés avec les logiciels «DxO» [Optics Pro, FilmPack, ViewPoint] et parfois quelque peu retouchés avec «Digital Photo Professional».
(en revanche, ces quelques pages web, à l’image de nombreuses autres, sont totalement dépourvues d’objectif)
Points de vue
Ma démarche de physicien [physique des particules élémentaires] pratiquant la phénoménologie - voir page professionnelle ici - consiste essentiellement à modéliser les interactions fondamentales de la matière, grâce à des formalismes mathématiques. La rigoureuse grammaire mathématique s’avère en effet offrir un langage étonnamment adéquat pour décrire précisément la nature. Les formalismes physiques se fondent sur un ordonnancement logique muni de multiple symétries (comme l’invariance par réflexion d’équations du mouvement). Ainsi, presque sans le vouloir, les sciences dures - et de façon plus évidente encore des domaines tels la biologie - sont des révélateurs d’une structure microscopique ordonnée et de l’harmonie profonde de notre univers, de sa danse cosmique bien chorégraphiée.
Par analogie, mon approche de la photographie participe d’un émerveillement du monde qui nous entoure et de son organisation sophistiquée. Les clichés présentés sont donc également un regard posé sur l’ordre des choses, les choses physiques. Cet ordre apparaît rapidement omniprésent puisque décelable en toute direction, presque inéluctable et pourtant apaisant. Pour véhiculer cette impression harmonieuse, le moyen utilisé dans ce travail photographique est aussi un outil propre au physicien : la géométrie. La nature y est déconstruite en une géométrie simplifiée, reposant l’oeil. Ce projet tend à mettre en valeur une certaine esthétique (colorée) des formes, au travers de dis-positions régulières et de compositions souvent épurées, de même que la recherche en physique peut révéler des symétries cachées ou quelque peu brisées.
Il est intéressant de tenter de développer une approche transverse, intégrant différentes disciplines, dans l’esprit d’une connaissance unifiée chère à Teilhard de Chardin.
Sous un angle philosophique, la thèse kantienne postulerait que les deux fenêtres sur le monde que sont la science et l’art ne permettent pas d’accéder aux « choses en soi ». Effectivement, appréhender notre environnement par le biais de ces deux voies se limite à l’expérience de la conscience, à la « phénoménologie de l’esprit » d’Hegel. Concrètement, ce filtre sur le « réel voilé » (selon les termes du physicien d’Espagnat) surgit par exemple via l’implication de l’observateur dans la mesure en théorie quantique des champs - où le sujet perturbe l’objet étudié - et via les effets de perspective transformant la géométrie des champs visuels du photographe.
D’une manière quasiment corollaire, dans la spiritualité hindouiste, le monde extérieur existant, mais changeant et illusoire, se manifeste en Maya (qui d’ailleurs dans l’étymologie sanskrit pourrait provenir du mot «mesure»), une pure création de l’esprit humain, par opposition à l’Atman, l’absolue et éternelle supra-conscience. La vision directe du monde matériel ne reflète donc pas sa réalité profonde, une fois encore.
La conclusion, que la complexité harmonieuse de la nature ne réside en fait que dans notre perception relative, subjective voire biaisée de celle-ci, ne devrait entacher en rien l’émerveillement ressenti face à cette harmonie. En effet, l’illusion, avant tout, existe, et en cela fait partie intégrante du monde dans sa globalité, d’où la richesse structurelle de l’illusion caractérise aussi ce monde. De plus, un réel sous-jacent chaotique ne saurait engendrer un monde apparent ordonné, d’où l’on déduit que l’harmonie immanente signe un ordre transcendant. De même que les silhouettes reconnaissables, des ombres projetées dans la caverne de Platon, sont dessinées par les allures bien réelles des objets qui les produisent. Ou bien comme une fleur floutée, vue au travers d’un objectif avant mise au point, dont on ne distinguerait plus les étamines mais dont la symétrie circulaire des pétales resterait elle perceptible.
Par contraste avec des notions comme la beauté, difficilement définissable, les considérations ci-dessus sur l’ordre naturel et sa créativité constructive apparaissent plus objectives voire quantifiables (entropie en physique statistique). Or cette organisation naturelle d’un haut degré de raffinement, du monde diversifié du vivant orchestré par des lois physiques déductives, générales et subtiles, pourrait faire croire en un sens (à peine) caché des choses, un dessein évolutif, dessiné en filigrane, une direction. Une mécanique quantique pré-méditée, le « cantique des degrés ». Ce serait faire le pas de l’une à l’autre des définitions théologiques de l’ordre, de la vision mécaniste (Descartes, Saint Thomas d’Aquin) à la vision métaphysique finaliste. La croyance en une finalité universelle, comme dans les religions, fait elle-même ici l’objet d’une série de clichés (intitulée «Croire»).
Dans les clichés réalisés, la recherche de compositions régulières rentre en général dans une tension constructive avec la volonté d’une présence humaine, explicite ou suggestive. Les cadrages doivent être alignant mais désaliénant. Cette contrainte inspirante vient du fait qu’une photographie de nature morte ou de paysage inerte, aussi parfaite soit-elle, finira toujours d’une certaine manière par devenir froide ou ennuyeuse. En ce sens, la photographie rapproche de l’Homme. L’homme et la femme doivent être le centre, dans ce travail, aussi (et c’est sans doute lié) parce qu’ils sont au coeur de la complexité naturelle considérée tout en l’adoucissant en la rendant imparfaite. Comme si l’ordre monotone naissant dans le minéral inanimé s’accomplissait seulement une fois devenu inexact dans le règne du vivant. Les symétries abouties des clichés sont de même humanisées par leurs vibrations organiques.
« Je cois que le charme infini et mystérieux qui gît dans la contemplation d’un navire en mouvement, tient, dans le premier cas, à la régularité et à la symétrie qui sont un des besoins primordiaux de l’esprit humain, au même degré que la complication et l’harmonie, – et, dans le second cas, à la multiplication et à la génération de toutes les courbes et figures imaginaires opérées dans l’espace par les éléments réels de l’objet. L’idée poétique qui se dégage de cette opération du mouvement dans les lignes est l’hypothèse d’un être vaste, immense, compliqué, mais eurythmique, d’un animal plein de génie, souffrant et soupirant tous les soupirs et toutes les ambitions humaines.e»
( Fusées, XV, C. Baudelaire )
Ainsi, le titre du site en annonce clairement la couleur ; une quête d’ordre dans le chaos et de sens dans nos sens, déclinée par l’infini des possibles de l’image.
« Une mathématique bleue
Dans cette mer jamais étale
D’où nous remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles »
( La mémoire et la mer, L. Ferré )
Bref, une touche de terre bleue dans un tableau de l’univers pas si noir...
G. M.